Pors Carn

« Pors-Carn … Arrêtons-nous ici avec respect : nous foulons une des terres sacrées de la préhistoire… (1)»

Ce toponyme concerne un vaste secteur qui comprend la plage proprement dite et la petite péninsule située entre la grève et le Viben. Pour ne pas surcharger cet article, j’ai pris la liberté de traiter à part les deux tumulus dans l’article Rosmeur.

« Porz carn » (fin XVIIe, 60J36)

« Port carn » (Fin XVIIe, 60J36)

« Meziou pors Carn » (1751, 4E 205 49)

« Portz-Carne »(1818, carte de Beautemps-Beaupré)

« Pte de Portz-carne » (1850, carte d’état major)

« Portz-Carne »  (1871, Thomassin : Pilote de la Manche…)

« Portz-Carn » (1886, Benjamin Girard in La revue maritime et coloniale)

« Porz-Carn »  (1913, Charles Géniaux :  L’Océan)

« Porz-Karn » (1956, Auguste Dupouy : St Guénolé Penmarc’h )

« Plage de Pors Carn » (2000, carte IGN 0519OT) Toponyme de Kervédal

Charles Géniaux traduisait à tort Pors Carn par la grève des charognes (2), en fait Pors ou Porzh signifie crique et par extension port. Carn [karn] a le sens de tumulus de pierres (3).

Pors Carn présente de très nombreuses traces d’occupation ancienne : préhistoire, protohistoire (voir article Rosmeur), mais aussi période gallo-romaine, période médiévale.

L’histoire médiévale du site reste très obscure. Il aurait peut-être été occupé par les Vikings au début du Xème siècle (voir les articles Cleu et Korn ar bleizi ru). A la fin du Moyen Age on y trouvait un port ainsi qu’une pêcherie sécherie de poissons sur la pointe de Beg ar Pont, mais existait-il un village à Pors Carn? Ou alors les marins venaient-ils de Kerbervet ?

Est-ce que la péninsule de Pors Carn revêtait un caractère sacré ? Certains éléments m’incitent à aller dans ce sens : la forte densité mégalithique, puis au Moyen Age le grand nombre de croix qu’on y trouvait pourraient en constituer des indices. Mais ceci reste pour le moment de l’ordre de l’intuition, je ne dispose pas de suffisamment d’éléments pour développer cette idée.

La plage de Pors Carn a longtemps servi de refuge aux bateaux en difficultés dans la baie d’Audierne : ils s’échouaient sur le sable et s’en tiraient parfois sans gros dégâts. Depuis le 18ème siècle plusieurs naufrages ont laissé des traces dans les archives ; il est impossible de les recenser tous, je me bornerai donc à citer les plus connus.

Ainsi, c’est dans l’anse de Pors Carn que s’échoua le 23 août 1794 la frégate « Le Volontaire », incendiée par les Anglais. Elle y demeura pendant deux mois, deux longs mois pendant lesquels la population déjà victime de nombreuses privations fut tenue de nourrir les soldats naufragés.

Autre naufrage spectaculaire au même endroit le 19 janvier 1866, celui du « Dewdrop » de Jersey : sa cargaison d’oranges fut vendue sur place aux enchères.

Le 20 octobre 1879, c’est le trois-mâts norvégien de 543 tonneaux « Irène » chargé de pièces de bois qui, pris par la tempête, vint s’échouer sur la plage, l’équipage fut heureusement sauvé.

Le 22 octobre 1881, six sardiniers s’échouèrent par une violente tempête de sud.

Le 13 décembre 1886, naufrage de la chaloupe « Polina » du Guilvinec ; les 9 marins furent sauvés.

Le 8 décembre 1893, naufrage de la chaloupe « Avantage » de Saint-Guénolé : un rescapé et quatre disparus

29 septembre 1903, naufrage après quatre jours de tempête du dundee « Saint-Charles », thonier de l’Ile d’Yeu ; les marins furent sauvés.

30 septembre 1912, une violente tempête surprit les bateaux de pêche en Baie d’Audierne, beaucoup d’entre eux vinrent s’échouer sur la plage. Voici un extrait du compte-rendu de l’enquête effectuée par la Société centrale de Sauvetage des naufragés à cette occasion :

« …Nos intrépides marins bretons ont été, pendant cette triste journée, à la hauteur de leur réputation d’héroïsme. C’est ainsi que le canot de Saint-Guénolé, le Maman-Poydenot, de la Société centrale de Sauvetage des naufragés, patron Riou, sorti au plus fort de la tempête, à 2 heures et demie, a sauvé au large, d’une mort certaine, l’équipage d’un bateau de pêche, puis, dans la baie de Port-Carn, a travaillé jusqu’à minuit pour mettre à terre huit équipages de barques en perdition, en tout 52 hommes. Que Jegou (Joseph), patron du canot de sauvetage de Kérity, se trouvant à la mer au moment de da tourmente, dans son bateau de pêche le Charles-Roux, sauva au large d’une perte certaine les sept hommes de l’Eole, puis, dans la baie de Port-Carn, mit à terre avec son canot, au péril de sa vie, vingt et un hommes, formant les équipages de barques en perdition. Que les patrons de pêche Cloarec, Salaun et Durand sauvèrent au large, chacun avec son bateau, les vingt et un hommes formant les équipages de trois barques. Qu’enfin, douze marins, dont nous avons les noms, organisèrent également à Port-Carn, avec une petite baleinière, La Marguerite, le sauvetage de sept équipages en détresse sur des bateaux de pêche en perdition. Une pareille énumération d’actes véritablement héroïques se passe de commentaires (4). »

La catastrophe de 1912, Photo Paul Dopff

Depuis la fin de la marine à voile les naufrages ont heureusement beaucoup diminué.

Pors Carn resta inoccupé pendant plusieurs siècles : au minimum du début XVIIe au XIXe. L’activité maritime réapparut timidement fin XIXe : des barques douarnenistes qui pêchaient la sardine en baie d’Audierne prirent l’habitude de venir s’y abriter. En 1871, Thomassin dans son célèbre « Pilote de la Manche » qualifie Pors Carn de « crique pour faire côte », il rajoute :

« C’est là […] le seul endroit où un navire obligé de faire côte aurait la chance de sauver son équipage […] Il serait bien à désirer qu’on construisit une tourelle rouge sur la pointe même de Portz-Carne, pour indiquer aux navires qui font côte l’extrémité de cette pointe que la grosse mer empêche de distinguer (5). »

La plage, jusqu’à la fin du XIXe, était un « territoire du vide » (6) arpenté uniquement par quelques pêcheurs et ramasseurs de goémon. Sa réputation était désastreuse :

« Il ne faut pas s’aventurer sans guide sur les plages de Penmarc’h » (7)

« Pors Carn c’est littéralement le port à la charogne, la langue est rude comme le pays, c’est là que viennent s’échouer, conduites par les courants et les remous, les épaves humaines, déchiquetées par les récifs de cette côte inhospitalière »(8)

Cette réputation s’est progressivement améliorée vers 1897, date clé pour le tourisme bigouden avec la mise en service du phare d’ Eckmühl. A partir de cette période la plage de Pors Carn commença à attirer, à l’instar de Benodet ou Loctudy, mais en proportion moindre, les premiers adeptes des bains de mer. Qui étaient-ils ? Essentiellement des familles bourgeoises hébergées dans les hôtels flambant neufs de Saint-Guénolé ainsi que les propriétaires des villas environnantes.

En effet, Pors Carn commençait à se repeupler en cette fin du 19ème et surtout au début du 20ème : on y trouvera longtemps un habitat mixte composé de maisons de marins-paysans d’une part et de résidences secondaires d’industriels, de savants et d’artistes d’autre part. Ces derniers, qui avaient pour point commun leur passion pour l’archéologie sont à l’origine du Groupe finistérien d’études préhistoriques et du Musée de la préhistoire.

Ces villas jouissaient d’un splendide isolement et c’était bien là ce que recherchaient les propriétaires, mais cette situation n’allait pas sans quelques inconvénients. Le plus gênant était l’absence de routes. Ces automobilistes ne supportaient plus de rouler à partir de Kervédal, pendant plus de 800 m. sur un sentier de sable fin, plein d’ornières. Le problème était d’autant plus grave à leurs yeux que l’objet de leur passion commune : le Musée de la préhistoire, subissait le même sort que leurs villas : hors d’atteinte des automobiles et encore plus des autocars, il restait en dehors des circuits touristiques.

En 1923, les propriétaires des villas s’allièrent avec les marins et les cultivateurs du secteur de Pors Carn – Kervédal  pour demander une amélioration du chemin, quitte à prendre en charge une partie des frais :

« Nous sommes […] isolés de toute communication avec nos automobiles ou nos charrettes et voitures, tant avec le bourg de St-Guénolé dont la route est impraticable, remplie de trous affreux et de passages infranchissables que avec le bourg de Penmarc’h […] Nous avons pensé qu’en faisant le sacrifice nécessaire pour rendre accessible aux voitures le bout de route qui nous sépare de Kervédal nous n’aurions plus à subir cette sorte d’internement aussi ridicule qu’odieux dans le coin de notre presqu’île où nous payons des impôts comme tout le monde, mais au profit des autres parties de la commune (9). »

La dégradation de la dune posait également problème. En 1921, la Mairie envisagea même d’y planter des pins maritimes. Après consultation de l’administration des Eaux et Forêts elle renonça à ce projet et opta pour des oyats et des tamaris. (10)

Quelques années plus tard, une nouvelle affaire perturba un temps la presqu’île de Pors Carn : un banquier parisien, Alfred Lebel, propriétaire lui aussi d’une villa à Pors Carn, voulut acheter en 1928 la partie de terrain communal qui bordait sa propriété, c’est-à-dire le chemin et la pointe de Pors Carn ! Une pétition regroupant de très nombreux habitants de Saint-Guénolé fut adressée à la Préfecture pour l’en empêcher, pétition que les principaux propriétaires de villas s’abstinrent de signer (11).

La pétition nous montre qu’en ces années vingt, le port de Pors Carn est sorti de sa léthargie : on y trouve à nouveau des pêcheurs « qui ont coutume de faire sécher leurs filets, cordages, casiers et tas de goëmon sur le terrain (12)  à proximité de leurs canots et de leurs habitations ». Des projets d’aménagements sont évoqués : « il y aurait intérêt à réserver [cette pointe], soit pour un port, soit pour une cale de bateau de sauvetage, éventualités qui ont été depuis longtemps envisagées ».

La grande démocratisation des bains de mer en France commença en 1936, conséquence de la politique menée par le gouvernement de Front populaire visant à une réduction du temps de travail. L’image d’Epinal de l’été 36 représente un couple de vacanciers en tandem filant vers la plage. Malgré son éloignement des grandes villes, Saint-Guénolé au dire des anciens, ne fut pas épargné par ce phénomène. Mais la population locale ne se sentait pas encore concernée ; elle se contentait de regarder ces baigneurs d’un œil amusé, voire narquois. Les pratiques des habitants de Saint-Guénolé commençaient toutefois à évoluer quand arriva la deuxième guerre mondiale et l’occupation allemande.

Pors Carn fut considéré par la Wehrmacht comme un lieu de débarquement possible. En conséquence la plage et les dunes devinrent zone militaire et furent partiellement interdites à la population. Les dunes furent minées (voir article Toull Gwin) et la plage servit souvent de terrain de manœuvre à l’armée allemande.

La population de Saint-Guénolé ne s’appropria véritablement la plage de Pors Carn comme lieu de loisir qu’après la guerre. Les beaux dimanches d’été la plage était noire de monde : touristes, enfants en colonie de vacances, jeunes gens de Saint-Guénolé, mais aussi, un peu en retrait, bigoudènes en coiffe et marins. Ces derniers, contrairement à beaucoup de leurs aînés, savaient souvent nager (13) et n’hésitaient pas à rejoindre la cohorte des baigneurs. La plage se transforma : au début des années 1950 un portique à balançoires, un toboggan, un filet de volley-ball furent installés devant la dune (14).

Pors Carn dans les années 1960. Carte postale, éditeur non identifié.

Depuis la fin des années 1970 avec le développement de la planche à voile suivi par la vogue des autres sports de glisse, la plage de Pors Carn connaît encore une nouvelle transformation, ce ne sera probablement pas  la dernière.

Les aménagements en question ne se concrétisèrent pas, mais l’idée de port revint à l’ordre du jour en 1992. Une association de défense fut créée pour contrer ce projet, fortement mobilisée autour du peintre Jean Bazaine, elle parvint à le faire échouer.

Voir aussi Aod, Cleu, Four à goémon, Korn ar bleizi ru, Musée de la préhistoire, Rosmeur, Villa « an Ti didrous », Villa « ar Gwasked », Villa Codet, Villa de la plage, Villa « Ker Loÿs », Villa « Ker Rech », Villa « Ker tumulus Rosmeur », Villa « Kreis an avel ».

(1) Masseron, Alexandre .- Penmarc’h : au pays des « Bigoudens » .- Le Correspondant, 1927.

(2) Géniaux, Charles .- L’Océan…

(3) Deshayes, Albert .- Dictionnaire des noms de lieux…

(4) Revue maritime .- Octobre-décembre 1912 .- P 220.

(5) Thomassin, Charles Athanase .- Pilote de la Manche…

(6) Corbin, Alain .- Le territoire du vide

(7) Vattier d’Ambroyse, Valentine .- Le littoral de la France ; 2ème partie : Du Mont Saint-Michel à Lorient / Valentine Vattier d’Ambroyse [pseud. Ch. F. Aubert] .- Paris : V. Palmé, 1885 .- 628 p. : ill.

(8) Paracelse – Pêcheurs de Penmarc’h et de la baie d’Audierne (1892)

(9) Archives départementales, 3 O 703

(10) Archives municipales, 3 O 3

(11) Archives départementales, 2 O 1097

(12) Ibid. il s’agit du terrain convoité par Lebel. Lettre au Préfet de Georges Chapalain, directeur de l’usine Roulland, pour protester contre le projet Lebel. 

(13) Les jeunes marins qui ne savent pas nager apprennent les rudiments de la natation lors de leur service militaire.

(14) Portais, Pierre .- Pors Carn les bains .- Mouez Penmarc’h, n° 32, août 2008.



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