« Korn ar bleizi ru » (témoignage oral, XXe s.) Toponymie nautique
« Korn ar bleizi ru »(1) est le nom qu’on donnait autrefois au secteur de la pointe de Pors Carn où se trouvent de mystérieux rectangles de sable entourés de pierres. Il en existe encore trois, mais il y a un siècle on en comptait sept.
Ce toponyme est très étrange, il se traduit en effet par le coin des loups rouges. On n’imagine pas des loups établir leurs tanières à cet endroit-là. S’agit-il de bars ? Dans de nombreuses régions françaises, le bar est appelé loup. Après vérification dans l’ouvrage de référence qu’Alain le Berre a consacré aux noms de poissons, on constate que le bar n’est jamais appelé bleiz (loup) en breton (2). Il ne s’agit donc pas de vrais loups, il ne s’agit pas non plus de poissons, à mon avis ces loups noirs sont des hommes, car le mot bleiz (pluriel bleizi) au sens figuré signifie personne méchante, malfaisante.
Ces personnes qui ont impressionné la population de Saint-Guénolé pourraient être des vikings. Cette hypothèse d’un port viking à Pors Carn est au cœur des recherches réalisées en 2018 par Gaëtan Jolly, étudiant en archéologie à l’UBO (3).
Si l’hypothèse est avérée, ce site daterait du début Xème siècle. Les rectangles de sable de « Korn ar bleizi ru » présentent des similitudes avec les hangars à bateaux scandinaves appelés naust (4), en particulier avec ceux qu’on a retrouvé en Ecosse. Pendant l’hiver on tirait les navires à l’intérieur de ces clôtures puis on les couvrait à l’aide d’un toit venant s’appuyer sur la levée de terre (5) (6).
Pors Carn était probablement un lieu d’accostage pour les vikings qui se transformait en site d’hivernage quand venait la mauvaise saison. Ce « port » aurait été actif pendant la période 907-936 ou pendant une partie de cette période.
Hivernage signifie présence saisonnière, voire permanente de Scandinaves à Pors Carn. Où vivaient-ils, comment défendaient-ils le port ? On peut penser que leur camp se trouvait sur la falaise dominant les naust, dans le retranchement fortifié connu sous le nom de cleu.
Est-ce que le passage possible des vikings a laissé des traces dans la toponymie ? Le seul toponyme avéré pour Penmarc’h ne se situe pas à Saint-Guénolé, mais devant Kérity, ce sont les Etocs (têtes de rochers en scandinave). Trois toponymes de Saint-Guénolé pourraient être d’origine nordique : merk, et de manière beaucoup plus incertaine : Pen ar beg (ou Pen ar bec) et Viben.
Les structures rectangulaires sont réutilisés comme pêcheries au XIXe siècle (7), et peut-être même avant. Les pierres dressées à chaque extrémité servent à tendre un filet qui coupe le rectangle dans le sens de la longueur.
Au XIXe ces pêcheries sont exploitées en commun par les paysans des fermes environnantes. Elles sont encore actives à la fin du siècle. En effet, lors du naufrage de la chaloupe « l’Avantage » sur les Gloanejen le 8 décembre 1893, le seul rescapé, Isidore Stéphan, parvint à nager jusqu’à la pointe de Pors Carn. Après une heure et demie d’efforts il se croyait sauvé lorsqu’il se prit les pieds dans un des filets de la pêcherie, il réussit heureusement à s’en sortir (7). Les pêcheries auraient fonctionné au moins jusqu’à la fin de la guerre 1914-1918. Après la guerre 1939-1945 certaines ont été détruites à l’aide d’un tracteur, car elles gênaient les usagers du port de Pors Carn.
(1) Noté « Korn ar bleizi zu » dans un premier temps en raison d’une graphie fautive.
(2) Le Berre, Alain .- Ichthyonymie bretonne / Alan-Gwenog Berr .- Brest : Université de Bretagne occidentale, 1970-1973 .- 3 vol. ; 20 cm.
(3) Il m’avait contacté lors de ses recherches sur le terrain. Nous avons beaucoup échangé à l’époque, en particulier sur les sources écrites et la toponymie. Il a entre temps rédigé un mémoire de stage de master 1, mais n’a pas encore vraiment fait connaître le résultat de ses recherches. Il faut pour le moment attendre qu’un article soit publié dans une revue scientifique et qu’il soit analysé et commenté par des spécialistes de la question. On pourra alors valider ou rejeter l’hypothèse d’une présence Viking à Pors Carn.
(4) Naust (pluriel nauster) ou noost ou encore noust.
(5) Ramskou Thorkild. Deux hangars à embarcations de l’époque des Vikings (Danemark). In: Annales de Normandie, 10ᵉ année, n°4, 1960. p. 423;
https://www.persee.fr/doc/annor_0003-4134_1960_num_10_4_6757
(6) Le niveau de la mer était inférieur au niveau actuel, certains spécialistes parlent de 1m en moins.
(7) Il ne s’agissait pas de pêcheries à l’origine. Selon Gaëtan Jolly cette hypothèse a définitivement été abandonnée par les spécialistes de l’histoire des pêcheries du néolithique à l’époque moderne.
(8) Témoignage transmis par son petit-fils, Joël Stéphan.
Merk ou plus souvent merkou le pluriel sont les seuls termes utilisés en breton comme correspondant au français « repère, amer » et en particulier à Penmarc’h.
Je pense qu’on peut difficilement faire un lien avec la présence des viking à Penmarc’h.
Kemen garregenn zo ba Penmarc’h, kemen ti zo, zo merkou.
Pour ce qui est de Beg on peut dire à peu près la même chose. A ceci près que en étymologie la plus sûr me parait être la plus courante, sauf à trouver des restes archéologiques incontestables sur place. Et pour ce qui est de Beg l’étymologie la plus courante est bretonne.
Bonjour
J’ai beaucoup hésité avant de modifier ces articles ou d’ailleurs j’emploie le conditionnel. Je n’affirme rien, mais j’essaye de proposer plusieurs hypothèses.
Cordialement
C.Cadiou