Kroaz

Croas, [kroas], kroes = croix.

La forme kroes correspond d’avantage au parler local. Ce mot peut aussi désigner un croisement de chemins, mais ce n’est pas le cas pour les toponymes relevés ci-dessous (1).

Les croix et calvaires remplissaient de multiples fonctions : ils étaient, bien sur, tout d’abord édifiés dans le but d’obtenir la protection divine du territoire, mais ils jouaient parfois d’autres rôles que j’aurai l’occasion d’évoquer dans les exemples qui suivent.

Avant d’en esquisser un inventaire je voudrais insister sur leur très grand nombre. Le territoire de Saint-Guénolé était parsemé de croix de granit. Il est impossible de s’en rendre compte aujourd’hui, seule la toponymie peut nous en donner une vague idée. Il en reste encore quelques unes, mais à l’instar des mégalithes la plupart ont été détruites, surtout au moment du renouveau démographique de Saint-Guénolé à partir des années 1870. Les premiers « touristes » de la fin du XIXe en découvrirent encore beaucoup et ne manquèrent pas d’en être impressionnés. Cette présence des croix et calvaires était d’autant plus marquante que rien ne les dissimulait, ni arbres, ni relief.

« Une très ancienne croix de granit se dresse devant le portail [de l’église de Saint-Guénolé] et une autre, à quelque distance derrière la tour, indique l’emplacement qu’occupait l’abside primitive. Ces croix de pierre sont très nombreuses sur le site de l’ancienne ville; on en rencontre au croisement de presque tous les chemins. (2) »

« A chaque pas, encastrées dans des murs de pierres sèches, plantées comme des bornes au coin des champs, au milieu d’un labour, sur une éminence, au bord même de la route, des croix… (3)» (Ce texte édité en 1893 ne décrit pas spécifiquement Saint-Guénolé, mais les abords de Penmarc’h)

Ar groes ver à Kerameil

« Menez ar groas » (1680, 4E214 93) ; « Montaigne nommé menez ar groas ver » (1681, 60J29) ; « Croas ar ber » (1697, 4E205 2) ; « Menez ar groes ber » (1725, 4E214 199) ; « Par ar groes ber » (1725, 4E214 199) ; « La croix courte » (1738, 60J24) ; « Montagne nommée menez ar groas ver » (1745, 4e214 130) ; « Parc ar groas ver » (1833, 3P159 3, cadastre) ; « Ar groès ver » (1914, 60J32) Toponyme de Kerameil

Cette croix figurait encore sur le plan cadastral de 1833, mais elle a disparu depuis longtemps. On peut supposer que la création de la route Penmarc’h – Saint- Guénolé lui a été fatale, car le cadastre  nous montre qu’elle empiète largement sur la chaussée. Croas ver signifie « croix courte », il s’agit certainement d’une petite croix de chemin datant du Moyen Age, comme on en rencontre encore beaucoup en Pays Bigouden. Selon Horst Schülke, « ces petites croix sont, dans la plupart des cas, les restes remontés de croix cassées ayant eu auparavant la hauteur habituelle de plus de deux mètres qui est la cause principale de la fragilité de ces monolithes. (4)»

Le champ « Parc ar groas ver » de 1833 se nommait « Menez ar groas » en 1680. Menez ayant ici le sens de terre inculte et non de montagne.

La position de cette croix à l’entrée de la trève de Saint-Guénolé, juste après le pont de Keréon, en fait un marqueur de territoire : à partir d’ici on quitte le territoire de saint Nonna sous l’influence du seigneur du Pont pour entrer dans celui de saint Guénolé qui est lui sous l’influence du Duc de Bretagne.

La croix de Kerameil

« Croix de Kerameil » (1680, 4E214 93) ; « Croix de Kerameill » (1681, 60J29) ; « Croix de Kerameil » (1745, 4E214 130) ; « Croix » (c. 1780, carte des Ingénieurs géographes) Toponyme de Kerameil

La croix de Kerameil n’est pas mentionnée sur le cadastre de 1833, on n’y trouve plus que « ar Groes ver ». Où se trouvait cette croix ? Selon la carte des Ingénieurs-géographes elle se situait au sud de Kerameil, à la jonction du chemin venant du moulin à eau de Keréon et du chemin allant à Kérity par le Pont nevez. Comme « ar groes ver »s’est un marqueur de territoire à une autre entrée de la trève.

La croix de Mesguen

« Champ auprès de la croix de Par Mesguen » (1677, 59J3) ; « Champ proche de la croix de Mesguen » (1728 ; 4E214 199) Toponyme de Kerbervet

Cette croix n’existe plus au moment de l’établissement du cadastre. Elle se trouvait probablement à l’intersection de la route de Kervédal avec l’ancien chemin menant de Kerouil à Kervilon par Mesguen, ce qui correspond aujourd’hui à l’intersection Route de Kervédal – Rue Molière.

Enes ar groes

« Enez ar Croas » (1953, Auguste Dupouy in Souvenirs d’un pêcheur en eau salée) ; « Enezenn ar Groaz » (1961, Alain Le Berre in Toponymie nautique de la côte sud du Finistère) Toponyme nautique

Enez ar Groes (îlot rocheux à gauche de la photographie)

« Ile de la croix » : cette roche se situe au Stouic. Je ne dispose d’aucun élément sérieux sur l’origine de  son nom. Une ruelle du nord de Kerouil a été nommée « Venelle Enez ar Groez », probablement en référence à ce rocher.

Les calvaires de Kergarien

Trois calvaires existent encore aujourd’hui à Kergarien, ils sont dessinés sur le plan cadastral de 1833.

Le calvaire de la Tour carrée, situé côté ouest, date du XVIe. Il est décrit par Caillon et Riou : « le calvaire Ouest porte, à côté d’une Piéta, un Saint Guénolé en évêque et un saint inconnu porteur d’écusson ou un ange : un patron des Penmorvan : On croit remarquer un cor sur le blason. Le tout est d’un seul bloc encastrant le fut. (5)» Ce calvaire a fait l’objet d’une restauration.

L’autre calvaire de la Tour carrée se situe côté est, il comporte un Christ et au revers une Piéta.

Calvaire à l’est de la Tour carrée, carte postale Yvon

Le calvaire de l’église Saint-Fiacre a été déplacé vers 1953 : il se trouve aujourd’hui près de la nouvelle église paroissiale. Il comporte un socle épais, un nœud historié représentant la fuite en Egypte et le groupe de Notre-Dame de Pitié, un crucifix.

L’ancienne croix de Saint-Fiacre.

La croix de Kerouil

La croix de Kerouil. Tableau de Louis Tesson, vers 1912. (6)

« Tal ar groas » (1751, 4E 205 49) ; « Parc ar groas » (1833, 3P159 3, cadastre) Toponyme de Kerouil

La croix de Kerouil date du XIVe d’après Y.-P. Castel (7). « Du côté du Christ, les deux larrons sont attachés à deux petites croix et, au revers, une Vierge à l’Enfant est au centre, encadrée par les personnages habituels du bas de la croix : Marie et Saint Jean (8). « Selon certains » il y aurait eu un cimetière près de la Croix (9). Au Moyen Age les inhumations se faisaient fréquemment au pied des croix de carrefours. Cette pratique fut interdite en Bretagne vers le XIIe. La croix de Kerouil serait la dernière trace visible d’une ancienne chapelle dédiée à Saint Quirin. A noter que cette croix a donné son nom au quartier, autrefois appelé « Tal ar groaz » et aujourd’hui encore « la Croix » .

Kroes ar Gall à Pors Carn

« Groas ar Gall » (1833, 3P159 3, cadastre)

« La croix du Français » ou plus vraisemblablement « la croix de (Le) Gall » est le nom d’un groupe de parcelles situées aux alentours de l’actuel Musée de la Préhistoire. Une croix de chemin se trouvait donc au bord de ces champs.

« Au champ nommé corn loch yan, une parée de terre froide ayant édifices au levant, dans lequel il y a une croix, joignant du dit endroit la palue … » (1805, 60J37)

Nous nous trouvons ici près d’une autre entrée de Saint-Guénolé, à la limite de la palue. La croix sert de marqueur de territoire pour les personnes qui viennent du nord : Beuzec, Plonéour, Tréguennec …. Cette croix encore mentionnée en 1875 (10) a disparu depuis.

La croix de la pointe de Pors Carn

Croix de Pors Carn

Cette croix a été placée là en 1959 pour commémorer l’acte de bravoure de l’abbé Michel Stéphan, qui perdit la vie à Pors Carn le 8 août 1958, en essayant de sauver un enfant de la noyade (11). Il s’agit d’une croix du XVIe, dont le socle selon Y.-P. Castel, est constitué par un vestige de chapiteau. Cette croix a été vandalisée en 2011, à cette occasion il a été possible d’observer ce socle auparavant enfoui en partie dans la terre.

Socle de la croix de Pors Carn

La croix de Kervilon

« Croix » (fin XVe, 60J36)

Nous disposons d’une seule indication sur son emplacement : elle se situe au nord de Ty poes.

Mezou ar groachou à Kervilon

« Mezou ar groachou » (1769, B472)

Ce « champ des croix » correspond à un ensemble de parcelles incluant Bar ar Calloch et Dolven.Ces croix ont toutes disparu aujourd’hui.

(1) sur les croix de Pays bigouden voir : Coatmen, Alexandra …BSAF 2005.

(2) Rousselet, Louis .- Excursions de vacances

(3) Nicolaï, Alexandre .- En Bretagne

(4) Schülke, Horst .- Le microrelief…

(5) Caillon, Marcellin .- A la découverte du Pays bigouden…

(6) Avec l’autorisation de Marc Jacquier, arrière petit-fils de Louis Tesson.

(7) Castel, Yves-Pierre .- Atlas des croix…

(8) Caillon, Marcellin .- A la découverte du Pays bigouden…

(9) Monfort, Rémy .- Penmarc’h…

(10) Archives départementales du Finistère, 60J109

(11) Le Guen, Gilles .- Penmarc’h…(t2) et Semaine religieuse du 8 octobre 1959.

 

 
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7 réponses à Kroaz

  1. alain lostanlen dit :

    J’ai lu dans « L’atlas des croix et calvaires » de Castel p.179 que le socle de la « croix de Pors Carn » serait un vestige de chapiteau ; avez-vous une opinion là-dessus , et sur son origine possible : vestige de l’église de Saint Gué ?

  2. admin dit :

    Bonjour

    Lorsque cette croix a été renversée, on a pu voir très nettement sa base en forme de chapiteau orné d’un motif de type corde ou torsade. S’agit-il du réemploi d’un chapiteau de l’église qui précédait la Tour carrée (selon Castel, la croix date du XVIe, ce n’est donc pas impossible) ou d’un élément architectural beaucoup plus ancien : il y a de fortes présomptions de présence gallo-romaine à Pors Carn (vestige d’un temple ?). Un historien d’art pourrait probablement trancher, pour ma part j’avoue mon incompétence.
    Cordialement.
    C. Cadiou

  3. lostanlen dit :

    Bonjour
    Autre question ( qui devrait se situer dans le chapitre « Rosmeur » mais les liens « laisser un commentaire » ne sont pas toujours présents )

    En 1913 une Mme Boennec a fait détruire l’allée couverte ( vestige du grand tumulus du Rosmeur de 44 m de long , indique le plan de Bénard ) qui se trouvait derrière chez elle ( d’après le Bulletin de la SAF 1922 p.40 ) : a-t-on une idée de ses motivations ? A-t-elle vendu les pierres ? … et du même coup agrandi son jardin ?
    Il ne reste actuellement que des vestiges d’une 2ième allée couverte qui faisait partie de ce même tumulus dont la terre a dû être récupérée plus tôt ( bien alors précieux dans ces parages peu fertiles )

  4. admin dit :

    Bonjour

    Dans l’article du BSAF de 1922 il n’est pas dit que Mme Boennec a fait détruire l’allée couverte, elle a « extrait de belles dalles et un pot brisé qui contenait des ossements ». Je n’ai pas plus d’informations que vous sur ce qui a été fait des pierres et de la terre. Comme vous le remarquez à juste titre, c’étaient des matériaux très recherchés pendant cette période d’expansion démographique. Je sais simplement que certaines des pierres de Rosmeur ont servi lors de la construction de la route entre Kerouil et Pors Carn et qu’une partie de la terre du petit tumulus a été transportée au château des Goélands.

    Désolé pour l’absence de lien « laisser un commentaire » : ça fait partie des quelques bugs auquel je suis confronté, j’espère qu’une prochaine version de WordPress les corrigera.

    Cordialement

    Camille Cadiou.

  5. lostanlen dit :

    J’ai vérifié : dans le BSAF 1922 il est indiqué sur le plan du commandant Bénard
    ( après la p.48 ) :
    D : chambre et allée détruite par Mme Boennec en 1913 (…) et dont il reste une partie des pierres et des dalles au raz de terre non fouillées.

    p. 41 il est effectivement dit que Mme Boennec en  » a extrait de belles dalles »… mais je me suis laissé dire qu’elle n’avait pas détruit cette allée couverte toute seule : je suppose qu’elle a demandé de l’aide ou fait faire ces rudes travaux par des hommes ; ceci dit les solides bigoudènes de l’époque avaient l’habitude du travail physique ; mais de là a démolir une allée couverte seule … !?

  6. lostanlen dit :

    Je me demande si les pierres accumulées par les tempêtes à la pointe à droite du Viben ( au niveau de la table d’orientation ) n’auraient pas inspiré les bâtisseurs des cairns du Rozmeur et servi de carrière pour en construire les allées couvertes ; au néolithique ces impressionants « amas cyclopéens » étaient certes un peu plus bas, mais ils ont certainement attiré l’attention des amateurs des gros cailloux de l’époque et peut être déterminé l’implantation des cairns …
    Il est probable aussi que ces grosses pierres ramenées par les tempêtes ont été utilisées par les carriers et que les amas étaient donc autrefois plus importants dans le secteur , même si le granit est de qualité médiocre ; elles ont probablement aussi été utilisées pour construire l’énigmatique talus qui ceinturait la pointe et qui daterait seulement du moyen âge d’après ce que le professeur Giot m’avait dit

  7. admin dit :

    En ce qui concerne le néolithique je ne me prononcerai pas, en revanche pour le talus du moyen âge ça me paraît tout à fait probable; il faudrait consulter un géologue. Pour la période contemporaine, on sait que les carriers et les maçons n’étaient pas très regardants. Lors de l’extraordinaire développement de Saint-Guénolé à partir des années 1860-1870, il a fallu construire des maisons, des usines, des routes… et je crois que tout y a passé, les mégalithes, les ruines du moyen âge et bien entendu ces pierres que vous évoquez.

    Bloavez mad.

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