Tour carrée

« La tour carrée de Saint-Guénolé, dont, au crépuscule, dans le paysage austère, la ruine semble gigantesque » Albert de Mun (1)

La Tour carrée : photo réalisée entre 1890 et 1901 par Félix Martin-Sabon

« Tal an ilis » (fin XVIIe, 60j36) ; « Tachen an ilis » (1784, B472) ; « Tour de St Guénolé » (1818, carte de Beautemps-Beaupré) ; « Parc tal an tour » (1833, 3P159 3, cadastre) ; « Tal an ilis » (1833, 3P159 3, cadastre) ; « Quichen-an-tour » (1895, 60J109) ; « La tour carrée de Saint-Guénolé » (c 1900, carte-postale Villard n°271) Toponymes de Kergarien

Tal et quichen [kichenn] signifient « à côté de, à proximité de » de la tour. L’expression Tal an tour est encore utilisée aujourd’hui par les anciens pour désigner l’ensemble du quartier de la Tour carrée. C’était également le nom de baptême d’un chalutier (années 1970-80). Le « Parc tal an tour » désignait les deux champs les plus proches de la tour : au nord et à l’ouest. A l’est on trouvait le cimetière et au sud, au-delà de la route, les parcelles de Tal an ilis.

Depuis quand l’église de Saint-Guénolé porte t-elle ce nom de « Tour carrée »? Il faudrait prendre le temps de dépouiller les documents administratifs du XIXe pour trouver la première apparition de cette expression. Gageons qu’elle s’est installée dans le parler local au moment du passage à l’école obligatoire. Avant cette percée de la langue française à Saint-Guénolé, c’était simplement « an tour » ou « an ilis ».

En 1301, Raoul, recteur de Beuzec fondit la chapelle Saint-Guénolé (2).On peut envisager, sans certitudes, qu’elle se situait à l’emplacement de la future église. Construite au tout début de l’âge d’or du Cap Caval, cette chapelle s’avéra rapidement trop petite pour la population de Saint-Guénolé en pleine expansion. Elle était aussi probablement trop modeste pour les maîtres de barques avides de prestige et de reconnaissance. Moins de deux siècles plus tard ces derniers firent bâtir un sanctuaire enfin conforme à leur statut de grands coureurs des mers européennes.

La construction de l’église Saint-Guénolé s’acheva en 1488, quelques années avant celle de Saint-Nonna de Penmarc’h. Les maîtres de barques tinrent à imprimer leurs marques sur les murs extérieurs en faisant réaliser de nombreux bas-reliefs représentant des bateaux et des scènes de pêche.

Bateau en bas-relief de la Tour carrée

Plusieurs familles nobles, dotèrent également le nouvel édifice : les Penmorvan qui y auront leur pierre tombale, les Kernizan, les Du Chastel et les seigneurs du Pont… Même le Duc était représenté : il ne faut pas oublier qu’au moment de la construction de l’église, lors du siège de Nantes en 1487, il fut sauvé par une flotille dans laquelle figuraient sept bateaux de Penmarc’h.

Tombeau orné du blason des Penmorvan (intérieur de la Tour carrée).

L’église fut conçue comme lieu de culte bien entendu, mais aussi comme point de repère pour la navigation et comme tour de guet et de défense. On craignait en effet les pillages des Anglais ou des Espagnols, les coups de main des pirates, mais aussi d’éventuelles attaques françaises : la Bretagne du duc François II était en plein conflit contre le roi de France à l’époque de l’édification de l’église.

Galerie intérieure de la Tour carrée, ancien chemin de ronde pour les guetteurs

Un prêtre résident fut nommé ; la trève de Saint-Guénolé fut ainsi desservie pendant plus de deux siècles. Malheureusement, la situation économique des ports du Cap Caval se dégrada au XVIe s., La Fontenelle lui portant un coup presque fatal en 1596.

Pendant le XVIIe Saint-Guénolé se dépeupla et commença à tourner le dos à la mer. Au début du siècle suivant son église était ruinée : avait-elle subi de graves dommages du temps de La Fontenelle ? Y avait-il un défaut de construction ou bien s’était-elle dégradée faute d’entretien ? En 1722 une ordonnance épiscopale supprima tout office dans l’église qui menaçait ruine ; le Saint-Sacrement fut transporté dans la chapelle Saint-Fiacre, bien que cette dernière se trouvât dans le même état de délabrement. Une description de l’église à cette époque a été conservée : c’est un procès-verbal de 1744 dû à Jean Le Herrou, recteur de Beuzec :

« Elle a de longueur, du pignon orient au carré de la tour, 112 pieds(3), et 22 pieds de large dans la nef et l l pieds de largeur dans le bas côté, sans compter le mur de refente qui a 2 pieds ; le dit mur a neuf arcades soutenus de 8 piliers ronds, non compris les 2 pignons. Dans le mur du côté du midy 6 fenêtres sans vitres ; au pignon d’orient est l’emplacement de la maîtresse vitre ; au même côté est un vitrail vis à vis le bas côté avec ses cornières sans vitres ; dans le mur bas côté nord faisant le mur du bas côté il y a 4 fenêtres maçonnées en partie, y compris celle de la croisade, et dans le même mur une porte maçonnée dans la partie du milieu. Au pignon d’orient est le maître-autel en pierre. Un autre autel se trouve du côté de l’Evangile vis à vis le bas côté. Il y a un autre petit autel joignant le mur nord, et dans une chapelle costière même côté nord où est la piscine servant aux fonts baptismaux. Sept autres petits autels à dos joignant les piliers de l’église, les dits autels en pierre, un autre autel joignant l’entrée du choeur côté midy. Il y a un écusson sur le pilier servant de pignon du côté nord et joignant le maître autel, portant une croix. La dame Catherine d’Ernothon, épouse de Louis Dargouges, chevalier marquis de Raves, baron du Pont… déclare avoir à cause de ces seigneuries plusieurs prééminences en cette église, qu’elle est hors d’état d’en donner la preuve car la plupart des titres anciens ont péri par l’injure du temps ou consumés par le feu des gens des guerres civiles ; elle fait donc des réserves. Au bas et près la petite chapelle étant au bout d’orient, côté de l’Evangile du maître autel, joignant le mur costier, il y a dans le mur une tombe voutée où est en supériorité un écusson chargé d’un lion couronné, armé et lampassé, et en face sur la pierre qui forme la clôture de la voute pareil écusson avec des.supports, et vis à vis la quatrième arcade dans le mur costier est une petite tombe sans écusson. Au bas du maître autel au 1er rang sont huit pierres tombales ; sur la seconde côté de l’épître est un écusson chargé de 3 épées ou coutelas, portant en chef un lambel et un lozange ; pas d’écussons sur les autres pierres, mais des chiffres et des ornements(4).

Toute l’église est découverte, les fermes sont très endommagées ; sur les sablières de bois se trouvent plusieurs écussons aux armes de France et de Bretagne. En la clef de voûte du portail est un écusson portant une croix, au pignon en dehors est un écusson représentant 2 tourteaux et un franc quartier. Au-dessus de la porte étant du même côté par laquelle on entroit au choeur, écusson chargé de 3 fasces surmontées de 3 hermines, au-dessus duquel, écusson aux armes de Bretagne. Au bout orient du même mur en dehors écusson avec 3 jumelles. La tour en entier paroît un ouvrage digne d’être fini et conservé, ces écussons seront lors de la réédification rétablis autant que possible dans les endroits convenables (5).»

Cette réédification envisagée par Le Herrou n’eut malheureusement jamais lieu.

La Tour carrée au début des années 1840, le porche sud est encore visible (6)

En 1845, l’architecte Joseph Bigot fit poser un toit en tuiles creuses sur la tour et construisit une chapelle attenante de 80m². Saint-Nonna était devenue l’église paroissiale des habitants de Saint-Guénolé en 1802, à la suite du Concordat ; mais à partir de 1845 on put à nouveau célébrer des messes en semaine et les jours de pardon dans la Tour carrée.

Le porche sud existait encore jusqu’en 1863. Qualifié de « remarquable » par Couffon et Le Bras (7), il fut acheté par Du Chatellier qui reconstitua l’entourage de la porte pour la chapelle de sa propriété de Kernuz à Pont-l’Abbé.

C’est probablement dans ces années 60 ou au tout début des années 70 que le poète Tristan Corbière vint à Penmarc’h. Son texte « Casino des Trépassés » signé et daté « Tristan. Penmarc’h septembre » parut en 1874. Il fait irrésistiblement penser à la Tour carrée, même si certains passages peuvent aussi évoquer Sainte-Thumette ou Saint-Nonna : « C’est un ancien clocher, debout et décorné. Sa flèche est à ses pieds – tombée. Des masures à coups de ruines flanquées en tas contre lui, avec un mouvement ivrogne, à l’abri du flot qui monte et du souffle qui rase (…)L’intérieur est un puits carré, quatre murs nus. À mi-hauteur, une entaille en ogive longue et profonde donne une raie de lumière. La brise bourdonne là-haut comme une mouche emprisonnée. De loin en loin, sur les parois, montent de petits jours noirs : c’est l’escalier dans l’épaisseur des murailles ; sur les haltes, sont ménagées des logettes, avec un œil en meurtrière ouvert sur l’horizon.  » (8) 

Une description de la Tour carrée en 1899 révèle à nouveau un état d’abandon : « un petit édicule (…) renferme une chapelle qui n’est plus employée au culte. L’intérieur du donjon est du reste transformé en grange et il faut s’adresser dans une masure voisine pour s’en faire ouvrir la porte (9)».

Le 7 février 1916, la Tour carrée fut classée comme Monument historique.

En 1938, l’abbé Parcheminou signalait qu’on devinait encore l’emplacement des murs de l’église. Une opération de mise à jour des fondations eu lieu vers 1942-1943 à l’occasion d’un projet de reconstruction, puis le site fut remblayé (10). Faute d’accord entre l’Evêché et les Beaux-Arts le projet de reconstruction fut abandonné (11). On continua cependant à célébrer épisodiquement des messes dans l’église jusqu’aux années cinquante. Le toit de la chapelle construite par Le Bigot finit par se désagréger et dans les années soixante la Tour carrée fut laissée à l’abandon : elle servait de terrain de jeux aux enfants du quartier et même d’abri de fortune à un clochard.

En décembre 1968, le bâtiment voisin de la tour, situé à l’angle des rues Joliot-Curie et Pierre-Sémard a été détruit, mettant d’avantage en valeur le monument.

Depuis, quelques travaux ont été effectués, encouragés par une association de sauvegarde créée en 1993, qui, après quelques années de sommeil, a retrouvé son dynamisme (12).

En 2015, un diagnostic archéologique est réalisé par une équipe de l’INRAP Grand Ouest. Il a permis de restituer l’emprise de l’église et de découvrir de nombreuses pierres tombales portant la marque de maîtres de barques (13).

Pour les deux calvaires de la Tour carrée voir l’article Kroaz.

(1) Mun, Albert de .- Le Gaulois, 26 janvier 1913.

(2) Peyron, Paul .- Beuzec-Cap-Caval / Peyron et Abgrall .- Quimper : Bulletin de la Commission diocésaine d’histoire et d’archéologie, 1903 .- Pp 104-107.

(3) Il faut diviser par trois pour obtenir une équivalence approximative en mètres.

(4) Ces chiffres et ornements sur les pierres tombales sont à rapprocher des marques de maîtres de barques qui ornent certaines pierres tombales de Saint-Nonna à Penmarc’h.

(5) Peyron, Paul : note publiée in Parcheminou, Corentin .- Penmarc’h…

(6) Dessin de Auguste Mayer pour Nodier, Charles .- Voyages pittoresques…

(7) Couffon, René .- Nouveau répertoire…

(8) Corbière, Tristan .- Oeuvres complètes .

(9) Rousselet, Louis .- Excursions de vacances…

(10) http://tour-carree.monsite-orange.fr :  site de l’Association pour la sauvegarde et la mise en valeur de la Tour Carrée de Saint Guénolé : 

(11) Un plan du projet a été reproduit in Monfort, Rémy .- Penmarc’h… p 164

(12) Une fête organisée par cette association est décrite in Abraham, Jean-Pierre .- Ici présent…

(13) Béthus, Teddys .- Ancienne église de Saint-Guénolé : Bretagne, Finistère, Penmarc’h, Saint-Guénolé : rapport final d’opération : diagnostic archéologique / sous la dir. de Teddys Béthus ; avec la collab. de Pierre Poilpré .- Cesson-Sévigné : INRAP Grand Ouest, 2015 .- 75 p. : ill.

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