Cet article concerne les rochers de Saint-Guénolé dans leur ensemble, par ailleurs chaque rocher, récif, basse ou îlot identifié fait ou fera l’objet d’un article.
[Les] « récifs de Saint-Guénolé, fameux par leur masse, leurs formes, les abîmes qu’ils enserrent, la splendeur des embruns qui les balaient et le fracas des vagues, plus fameux encore par leur sinistre réputation qui n’est que trop douloureusement justifiée… (1)»
Cette expression « rochers de Saint-Guénolé » (ou parfois récifs de Saint-Guénolé) concerne généralement le secteur qui va du nord du port à Poulbriel ; mais l’expression embrasse parfois l’ensemble des rochers qui séparent les grèves de la Joie et de Pors Carn. Pour l’aspect géologique de ces rochers je me contenterais de renvoyer à l’ouvrage de Sylvain Blais (2).
Une autre expression synonyme de « rochers de Saint-Guénolé » se rencontre parfois, c’est « Rochers de la côte sauvage », j’ai même trouvé « Rochers fantastiques » (3).
C’est avec l’arrivée du chemin de fer à Quimper que le regard sur ces rochers a profondément évolué. Jusqu’alors ils intéressaient uniquement les populations maritimes pour lesquelles ils étaient synonymes de danger et parfois aussi objets de superstitions. A partir de la fin du XIXe, quand les touristes commencèrent à affluer à la pointe du Pays bigouden, les rochers devinrent un but d’excursion incontournable : à Penmarc’h il fallait visiter et le phare d’Eckmühl (1897) et les rochers. Il est vrai que la mort tragique de la famille de l’ancien préfet du Finistère en 1870 les avait rendus célèbres dans le pays. Parmi les très nombreux témoignages de voyageurs, j’ai retenu celui de Louis Rousselet en 1899 :
« Après avoir retenu nos places à la table d’hôte du Grand-Hôtel, nous choisissons, parmi les innombrables gamins qui nous assaillent, le guide indispensable en compagnie duquel nous partons pour visiter les rochers de la pointe. Longeant la plage, littéralement couverte sur certains points des débris tranchants de boites de conserves, on atteint bientôt une sorte d’esplanade rocheuse, dont le sol de granit noir semble une coulée de laves, et au-dessus de laquelle s’élèvent, en un fantastique chaos, des blocs immenses, déchiquetés par le flot. On circule du reste fort aisément à travers ce dédale, dont le sol couvert d’aspérités n’est jamais glissant. A la suite de notre guide, nous grimpons sur les blocs, contournons les ravins où dorment de petits bassins d’un bleu d’émeraude, enfilons les couloirs étroits au bout desquels la vague s’élève et s’abaisse avec un sourd mugissement. Malheureusement la mer est calme, et ici comme à la Pointe du Raz le spectacle ne donne qu’une faible idée des effets effrayants que doivent produire les vagues se ruant parmi ces masses imposantes. Cependant, même par semblable temps, il ne faut pas s’approcher sans défiance de ces gouffres où le remous monte parfois en quelques secondes d’une dizaine de mètres. (…) Dans leurs assauts continuels, les vagues ont découpé dans ces rochers des formes bizarres où l’on se plait à reconnaître des figures plus ou moins distinctes, un capucin lisant son bréviaire, un crabe, un gigantesque lapin, etc (4). »
Très rapidement les rochers les plus pittoresques furent baptisés. L’absence de noms bretons et le choix de certains termes m’incitent à penser que la plupart de ces noms sont nés de l’imagination des premiers touristes. Ces noms furent aussitôt assimilés par les gamins et gamines du Menez qui se transformaient volontiers en guides en échange de quelques pièces. Les premiers éditeurs de cartes postales, toujours à la recherche de pittoresque, contribuèrent à les populariser et à fixer leurs noms. Parmi les rochers les plus connus citons :
les Oreilles de lapin,
la Tête de cheval (ou Tête de veau),
la Flûte de pain,
Le Moine, la Tortue, le Rocher tremblant, le Crapaud, la Chaise longue, le Tire-bouchon ou Rhinocéros,… Ce dernier rocher se transforma même en « pierre sacrée des druides » dans l’imagination de l’éditeur Neurdein qui réalisa une série de cartes postales mettant en scène des femmes en costume posant devant la roche :
Le cinéma s’intéressa lui aussi à ces rochers : en 1912 Jean Denola y tourna « La folle de Penmarc’h », une production Pathé avec Jean Dax et Mistinguett et en 1920 Marcel L’Herbier y réalisa son premier chef d’oeuvre : « L’homme du large » avec Roger Karl et Jaque Catelain.
Mais l’attirance exercée par ces rochers ne provenait pas seulement de leur pittoresque, la dangerosité des lieux captivait également certains touristes qui venaient y faire à bon compte l’expérience du danger, comme G. de Raulin en 1902 sur le Rocher du Préfet :
« Les flots succèdent aux flots, s’engouffrent parmi les rochers qu’ils inondent d’une écume dont les flocons volent au loin. A peine le premier veut-il se retirer que, survenant à la rescousse, un second l’en empêche, et ainsi de suite indéfiniment, sans trêve ni repos.
Un cercle de fer se resserre autour de ma tête, ma langue savoure un acre goût de sel, et mon visage est couvert d’une fine poussière de mer. Le bruit assourdissant des flots et les chocs du vent me balancent comme un navire à l’ancre. Je subis l’attirance du gouffre et l’hallucination de cette dalle mortuaire. Je songe que la mort sournoise, insinuante et impitoyable me guette. Cela me fait au coeur un pincement; je sens sous mes cheveux courir de légers frissons. Et cependant je ne puis me décoller de là ! Je pense à la Lame-Vert-de-Mer de Walter Scott et je crois voir dans les lames qui défilent, le spectre de la Camarde elle-même. Elle est verte de corps, enveloppée dans un linceul aussi blanc que son visage où brillent deux yeux d’émeraude. Avec des balancements de sirène et des gestes enveloppants, elle se glisse vers le rocher; le long du granit, elle étend les tentacules traîtresses qui doivent venir me cueillir!
Mais ceci n’est plus totalement une illusion La frange d’écume d’une lame vient lécher la croix de fer qu’elle couvre d’une mousse savonneuse. Je n’ai que le temps de me rejeter en arrière et de grimper vers la cabane, où je reste adossé. C’est que pendant ma rêverie, la marée a continué à monter (5). »
Marcel Proust fut lui aussi durablement impressionné par ces rochers, au point de les évoquer, non sans exagération, dans son roman Jean Santeuil :
« Sachez qu’avec un simple coup de vent, une vague vient vous chercher à deux cents mètres où vous vous pensiez à l’abri et ni vu ni connu, mon bel ami, elle n’en fait qu’une bouchée » (6)
Cet ensemble de rochers a provoqué d’innombrables accidents :
« … ce rivage le plus redoutable de Bretagne, où chaque roc aigu peut se vanter d’avoir traversé le flanc d’un vaisseau (7). »
Je me contenterai ici d’évoquer un naufrage récent qui fut certainement le plus spectaculaire : le 13 décembre 1978 une très violente tempête frappa Penmarc’h. Il y avait, au large, une houle de suroît très formée depuis plusieurs jours, avec des creux de 15 mètres. Le 13, elle vint se briser sur la côte, poussée par des vents de plus de 100 km/h. Le 14 au soir, un dock caréneur de 185 m. de long, 45 m. de large, 18m. de haut s’échoua sur les rochers, au nord du port. Cette masse impressionnante qui dominait nettement les maisons du port et du Menez attira pendant des semaines une foule considérable de badauds. Deux mois plus tard, dans la nuit du 12 au 13 février 1979, une nouvelle tempête vint casser le dock en plusieurs morceaux.
Les rochers de Saint-Guénolé sont classés à l’Inventaire des sites depuis 1936.
(1) Masseron, Alexandre .- Penmarc’h : au pays des « Bigoudens » .- Le Correspondant, 1927.
(2) Curiosités géologiques du Pays bigouden …
(3) Carte postale début XXe, ed. Nozais, n°12
(4) Rousselet, Louis .- Excursions de vacances …
(5) Raulin, G. de .- Saint-Guénolé …
(6) Proust, Marcel .- Jean Santeuil précédé de Les plaisirs et les jours / édition établie par Pierre Clarac avec la collaboration d’Yves Sandre .- Paris : Gallimard, 1971.- (Bibliothèque de la Pléiade ; 228). Page 371.
(7) Géniaux, Charles .- Paysages spirituels de Bretagne…