Ecrivain, poète.
Jean-Pierre Abraham (1935-2003) est né à Nantes. Il s’est fait connaître par « Armen », publié en 1967, évocation de son expérience de gardien de phare. En 2001 il a posé son sac à Penmarc’h pour y poursuivre son travail d’écrivain, qui consistait selon son éditeur, « à raconter sa vie en déblayant d’abord longuement le terrain pour n’y plus laisser jouer que des échos et des lumières ». Le résultat est un des plus beaux livres jamais écrit sur Saint-Guénolé : « Ici Présent », publié en 2001 aux éditions Le temps qu’il fait.
« Tout au bout, au musoir de la jetée, au-dessus de la passe d’entrée, on a construit un petit balcon : quelques marches, et l’on vient s’accouder à la crête du mur pare-embruns, aux toutes premières loges.
Le soir, quand on y monte, le geste est spontané, immédiat : il faut mettre une main en visière au-dessus des yeux, sinon on ne peut rien voir. Où est le chenal d’ailleurs ? On finit par discerner au loin, à droite, la bouée d’atterrissage, mais ensuite ? Des têtes de roches émergent un peu partout et la mer brise autour, dès qu’il y a du vent. Le bateau qui arrive, de droite à gauche, on dirait qu’il s’invente un chemin, et c’est une sorte de chemin creux entre deux talus d’écume, très creux puisqu’il y disparait parfois complètement, plein d’ornières car il semble saisi de tremblements. Il file parallèlement à la côte, comme s’il ne faisait que passer, pour aller virer une bouée rouge à peine visible dans les remous, avant de piquer enfin vers l’est, vers le port. Alors c’est le plus difficile apparemment : il reçoit maintenant la mer de l’arrière, il n’a plus d’appui, elle le rattrape, l’entraîne à la même vitesse qu’elle pour qu’il ne soit plus manœuvrant, pour qu’il dérape, droit vers l’île Conq ou de l’autre côté vers le Kruguen. Le passage est étroit entre les bouées rouges et vertes de l’entrée, il faut viser juste.
Dans la passe, tout se calme d’un coup, le bateau défile devant le musoir, pour un peu on applaudirait le matelot qui prépare les défenses à l’avant, love un cordage comme un garçon de cirque après un numéro de funambule, sans un regard pour le public. »