Évolution de la population de Saint-Guénolé 1870-1979
Saint-Guénolé est plutôt épargné par les épidémies durant les années 1870. La courbe de mortalité apparaît plutôt régulière, variant d’un maximum de 22 décès par an en 1872 à un minimum de 8 décès en 1876 et 1877. Cette régularité est d’autant plus remarquable que la courbe du reste de la commune s’avère beaucoup plus chahutée avec trois pointes nettement marquées : 1871, 1875 et 1879.
Recensement de 1872
La population de Saint-Guénolé a augmenté depuis le recensement de 1866, passant de 337 à 364 habitants. Mais la population communale a augmenté encore plus vite, car Saint-Guénolé ne représente plus que 15 % de la population de Penmarc’h, contre 15,1% six ans plus tôt. Le nombre de foyers est passé de 79 à 82. On constate que la précarité s’est encore accentuée pour les plus démunis : il y a parfois deux familles dans la même maison et, fait nouveau, quelques crèches de Kerouil et Kergarien sont désormais habitées par des femmes seules et même pour l’une d’elles par un couple et son enfant ! Parmi les principaux villages de Saint-Guénolé, seul Kervédal subit une baisse.
Les nouveaux arrivants (15 foyers) viennent tous du Pays bigouden : de Penmarc’h (4), Saint-Jean (3), Plomeur (3), Pouldreuzic (3), etc. La migration des familles pauvres des palues de la baie d’Audierne commence à bas bruit.
85% des travailleurs (146) sont encore des travailleurs de la terre : agriculteurs, épouses d’agriculteurs, enfants d’agriculteurs de plus de 16 ans, domestiques, journaliers et journalières. Les journaliers et journalières sont au nombre de 13, soit 9 % des paysans, leur nombre continue à régresser au fil des années (23 % en 1856).
Les marins sont désormais 17 à Saint-Guénolé, plus deux mousses de moins de 16 ans. Leur poids a doublé en six ans. Les usines qui commencent à s’installer à l’Ile Fougère favorisent l’essor de cette profession. En revanche les métiers spécifiques aux usines ne sont pas encore mentionnés : ouvrières et ouvriers, soudeurs, gérants, contremaîtres …
Les autres professions sont encore rares : on recense deux tailleurs (Jean Briec et son frère Jacques à Kergarien), une couturière (Marie Louise Briec, la fille de Jean), un charron (Michel le Corre à Kervilon), un maçon (Jacques Le Roux à Kervédal), un meunier (Sébastien Le Coz à Kerouil), un tonnelier (Germain Stéphan à l’Ile Fougère) et une cabaretière (Marie Jeanne Le Roux, épouse Stéphan à l’Ile Fougère). Ce cabaret, ouvert en 1872 place de l’Ile Fougère, côté nord, est le premier débit de boisson de Saint-Guénolé. Il est d’abord tenu par Marie Jeanne Le Roux, son mari Guillaume Stéphan étant recensé comme agriculteur ; mais dès septembre 1872 Guillaume Stéphan est considéré comme cabaretier.
Recensement de 1876
La population de Saint-Guénolé continue de croître : elle passe de 364 à 392 habitants en 4 ans. Mais la population communale augmente encore plus vite et Saint-Guénolé ne représente plus que 14,8 % de la population de Penmarc’h. Le nombre de foyers (84) est en légère hausse : il y en avait 82 quatre ans plus tôt. L’ile Fougère et Kervédal sont les villages qui progressent le plus.
Les nouvelles familles qui se sont installées sont toutes bigoudènes : elles viennent de Penmarc’h (3), Plomeur (2), Treffiagat (2), Saint-Jean (1), Penhors (1).
88% des travailleurs de plus de 16 ans sont encore liés à la terre. Le nombre de journaliers et journalières poursuit sa régression : il est de 10 soit 6% des travailleurs agricoles, mais on trouve encore 24 domestiques dont 7 ont moins de 16 ans.
Les marins ne sont plus que 15 contre 17 quatre ans plus tôt. Deux des 17 marins de 1872 sont décédés, deux sont redevenus cultivateurs et un autre se dit à présent tailleur. Par ailleurs trois sont allés à Kérity et à Saint-Pierre. Saint-Guénolé ne compte encore que trois ou quatre bateaux achetés d’occasion dont le « Sainte-Thumette » qui appartient à Jean Souron (1838-1922).
Comme en 1872 on trouve également un maçon à Kervédal : Jacques le Roux, un tonnelier à l’Ile Fougère : Germain Stéphan ; un meunier à Kerouil : Sébastien le Coz, qui exerce probablement sa profession au moulin à vent de Meil ar Sant à l’angle de la route de Kervédal et de la rue des Fusains. Le charron de Kervilon, Michel le Corre, a déménagé à Kergarien. Michel Drézen qui était marin en 1872 exerce à présent, on l’a vu, la profession de tailleur à Kergarien et Jean Faou est tisserand à Kerouil. Corentin Kersalé s’est installé comme cabaretier à Kergarien, faisant concurrence à Guillaume Stéphan qui se dit cultivateur, mais qui tient aussi un cabaret à l’Ile Fougère.
Les patronymes les plus courants en 1876 sont Tanneau (7 foyers), Lucas (5), Le Pape (4), Stéphan (4), Drezen (3), Durand (3), Gloaguen (3)
Conditions de vie
Dans les années 1870 le prix des denrées alimentaires commence à baisser, le pouvoir d’achat s’améliore. Quelques petits changements voient le jour dans la vie quotidienne des Bigoudens : l’usage du tabac se propage, le lit en bois ou en fer apparaît, mais le lit clos reste largement dominant. La bougie commence à remplacer la chandelle de suif ou de résine. Le chaulage des terres se développe.
Une vente de meubles réalisée en 1871 à la suite du décès de Marie Anne Quinquis, journalière, veuve de Jacques Morvan (1) permet de se faire une idée du dénuement dans lequel vivaient encore certains habitants à l’époque. Cet état des lieux ne vaut pas pour toutes les familles de Saint-Guénolé, car il s’agit ici d’une veuve et le veuvage pour une femme était généralement synonyme de misère.
Marie Anne Quinquis possédait quelques meubles : un banc, une table, deux « escabots », une armoire et deux lits. Des ustensiles de cuisine : un chaudron, une marmite, un ribot, un trépied, une « galettoire », un seau, quelques pots et quelques plats. Des outils : une houe, une pelle, un croc, une quenouille. Un manteau. A cela il faut ajouter une vache, un tas de cendres, des pommes de terre et des oignons encore en culture. C’est tout !
Les cultures
L’analyse de six procès-verbaux de congément dressés par le juge de paix de Pont-l’Abbé pendant les années 1870 (2) m’a permis d’appréhender les différentes cultures pratiquées à Saint-Guénolé. Un légume et deux céréales occupent presque les neuf dixièmes des surfaces cultivées : la pomme de terre (32%), l’orge (29%) et le froment (26 %). Le reste des terres est consacré aux légumes destinés à la consommation familiale. Il y a aussi quelques pâtures, mais l’essentiel des animaux se nourrissent encore sur les communs : celui de Menez Kerouil, les palues de Kervédal et de la Joie, Leuquer Kerameil… Quelques autres plantes sont cultivées à Saint-Guénolé, mais de manière marginale : l’avoine pour les chevaux, la luzerne, et encore un peu de chanvre, en nette régression en cette fin de siècle. A noter l’absence de cultures de sols pauvres comme le seigle ou le sarrasin.
Les exploitations sont petites et extrêmement morcelées : la plus grande des six fait seulement 4,4 ha et s’étend sur 55 parcelles différentes. En outre ces parcelles se trouvent parfois dans des secteurs très éloignés les uns des autres, disséminés aux quatre coins de Saint-Guénolé. Ainsi, la tenue Mao et Marchiou, qui appartient à la famille Calvez est composée de terres situées à Kerouil, à Pors Carn, près du Loc’h Lescors ou au Silinou !

La pêche
La pêche est encore à ses débuts à Saint-Guénolé. On dénombre seulement 15 marins professionnels qui embarquent sur les trois ou quatre bateaux du port, tous achetés d’occasion. Le port est constitué d’une jetée vétuste en grandes pierres posées de chant constituant un abri dérisoire dès que le temps se gâte. Les pêches pratiquées par ces pionniers ne diffèrent probablement pas de celles des voisins : sardine, maquereau et crustacés essentiellement.
Le trafic du port et l’approvisionnement des premières usines restent encore majoritairement réalisés par des pêcheurs étrangers, en particulier par des Douarnenistes et des Guilvinistes. Pendant la haute saison de la sardine on peut voir plusieurs dizaines de bateaux, parfois plus d’une centaine fréquenter le port. Car malgré ses énormes défauts il dispose d’un atout majeur : il est idéalement placé.
Les années 1870 représentent une période charnière pour Saint-Guénolé. La vie semble figée : la démographie n’évolue presque pas et une majorité écrasante de la population regarde encore vers la terre plutôt que vers la mer. Pourtant le changement est déjà en cours, considérable. L’implantation des usines, la présence des marins des autres ports, les premières visites de touristes amènent un brassage de population inédit (3). On découvre d’autres façons de s’habiller, on entend une autre langue. Et puis les pauvres paysans constatent que les marins ont plutôt bien gagné leur vie depuis le début des années 1870. Aussi les plus démunis de Saint-Guénolé et des rivages de la baie d’Audierne commencent à se demander si malgré la difficulté et la dangerosité du métier de marin il ne vaudrait pas mieux quitter la ferme et prendre la mer à leurs tours. Une vague est en train de se former, elle commencera à déferler pendant la décennie suivante.
(1) 53 U 5 89
(2) 53 U 5 88 à 97
(3) La disparition de la famille du préfet en 1870 a eu un retentissement important. Les touristes qui visitent le Finistère viennent désormais à Saint-Guénolé voir le lieu du drame.
Principaux événements
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